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Le comte de Chambord et le petit prince

drahonetQuel est le point commun entre Saint-Exupéry, le petit prince et le comte de Chambord ? Ce portrait !

Mais tout d'abord, quelques présentations s'imposent. Qui est le comte de Chambord ?
Henri Charles Ferdinand Marie Dieudonné d'Artois (1820-1883), duc de Bordeaux et comte de Chambord, était le petit-fils du roi Charles X (ex-comte d'Artois, frère de Louis XVI) et le fils posthume de Charles Ferdinand d'Artois, duc de Berry, fils cadet du roi. Pour le relier à quelqu'un que l'on connaît bien, il est le neveu de la duchesse d'Angoulême, fille de Marie-Antoinette. Celle-ci s'occupera d'ailleurs beaucoup de son neveu, qui le considèrera comme une seconde mère. Elle est aussi sa marraine.
Le comte de Chambord est né à 7 mois et demi de gestation, aussi sa mère l'appelait-elle "l'enfant du miracle". Qu'un prématuré survive à cette époque relevait de l'exploit.
Le comte de Chambord, également appelé Henri V, fut le dernier roi de France, lorsque son grand-père Charles X abdiqua en sa faveur le 2 août 1830.
Mort sans descendance, il fut aussi le dernier descendant français de la branche aînée des Bourbons, laissant une succession du trône de France toujours irrésolue à ce jour.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre portrait. Cette peinture d'Alexandre-Jean Dubois-Drahonet, que l'on peut admirer au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, représente le comte de Chambord enfant, en 1830. C'est ce portrait qui inspira Antoine de Saint-Exupéry pour réaliser son petit prince.

Publié en 1946 en France, Le Petit Prince est devenu un classique de la littérature française, et son jeune héros une icône populaire mondialement connue. Son auteur le destinait aux enfants, mais il a une telle portée philosophique qu'il est devenu une oeuvre transgénérationnelle.
Le Petit Prince est aujourd'hui disponible en 220 langues et dialectes. Seuls la Bible et le Coran connaissent autant de traductions. Des langues minoritaires, menacées de disparition, proposent même leur version du Petit Prince. Le texte a ainsi été publié en lapon, en tzigane et en quechua.

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Egalement idéal pour l’apprentissage des langues, il est étudié dans les écoles du Maroc ou encore au Japon. En 2005, Le Petit Prince a été traduit en toba, langue amérindienne du nord de l’Argentine, qui n’avait jusqu’à ce jour accueilli qu’une seule traduction : La Bible. C'est dire l'ampleur du phénomène.

Le Petit Prince est un de mes livres préférés, et il est pour moi la preuve que la littérature jeunesse est, contrairement à ce que l'on veut croire, un genre noble. Un passage du Petit Prince a été lu, par Brooke Shields, lors des funérailles de Michael Jackson. Plusieurs personnalités le citent parmi leurs ouvrages préférés : Patrick Poivre d’Arvor, Umberto Eco, Erik Orsenna, Nicolas Hulot, Lilian Thuram, Pelé, Françoise Hardy, Etienne Daho, Eva Herzigova...

134 millions d’exemplaires ont été vendus. Et chaque nouvelle version connait le succès.

Je vais conclure par quelques-uns de mes passages préférés (dont ne fait pas partie le fameux "Dessine-moi un mouton" !). Extraits :

Si je vous ai raconté ces détails sur l'astéroïde B 612 et si je vous ai confié son numéro, c'est à cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit..." elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire : "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient : "Comme c'est joli !
Ainsi, si vous leur dites : "La preuve que le petit prince a existé c'est qu'il était ravissant, qu'il riait, et qu'il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c'est la preuve qu'on existe" elles hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant ! Mais si vous leur dites : "La planète d'où il venait est l'astéroïde B 612" alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes. 

 

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La quatrième planète était celle du businessman. Cet homme était si occupé qu'il ne leva même pas la tête à l'arrivée du petit prince.

- Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est éteinte.

- Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf! Ça fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.

- Cinq cents millions de quoi ?

 

- Hein? Tu es toujours là ? Cinq cent un millions de... je ne sais plus... J'ai tellement de travail ! Je suis sérieux, moi, je ne m'amuse pas à des balivernes ! Deux et cinq sept...

- Cinq cent un millions de quoi, répéta le petit prince qui jamais de sa vie, n'avait renoncé à une question, une fois qu'il l'avait posée.

Le businessman leva la tête :

- Depuis cinquante-quatre ans que j'habite cette planète-ci, je n'ai été dérangé que trois fois. La première fois ç'a été, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui était tombé Dieu sait d'où. Il répandait un bruit épouvantable, et j'ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois ç'a été, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque d'exercice. Je n'ai pas le temps de flâner. Je suis sérieux, moi. La troisième fois... la voici ! Je disais donc cinq cent un millions...

- Millions de quoi ?

Le businessman comprit qu'il n'était point d'espoir de paix :

- Millions de ces petites choses que l'on voit quelquefois dans le ciel.

- Des mouches ?

- Mais non, des petites choses qui brillent.

- Des abeilles ?

- Mais non. Des petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants. Mais je suis sérieux, moi ! Je n'ai pas le temps de rêvasser.

- Ah! des étoiles ?

- C'est bien ça. Des étoiles.

- Et que fais-tu de cinq cents millions d'étoiles ?

- Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis.

- Et que fais-tu de ces étoiles ?

- Ce que j'en fais ?

- Oui.

- Rien. Je les possède.

- Tu possèdes les étoiles ?

- Oui.

- Mais j'ai déjà vu un roi qui...

- Les rois ne possèdent pas. Ils "règnent" sur. C'est très différent.

- Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ?

- Ça me sert à être riche.

- Et à quoi cela te sert-il d'être riche ?

- A acheter d'autres étoiles, si quelqu'un en trouve.

Celui-là, se dit en lui-même le petit prince, il raisonne un peu comme mon ivrogne.

Cependant il posa encore des questions :

- Comment peut-on posséder les étoiles ?

- A qui sont-elles ? riposta, grincheux, le businessman.

- Je ne sais pas. A personne.

- Alors elles sont à moi, car j'y ai pensé le premier.

- Ça suffit ?

- Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n'est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n'est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n'a songé à les posséder.

- Ça c'est vrai, dit le petit prince. Et qu'en fais-tu ?

- Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. C'est difficile. Mais je suis un homme sérieux !

Le petit prince n'était pas satisfait encore.

- Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l'emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l'emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles !

- Non, mais je puis les placer en banque.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Ça veut dire que j'écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j'enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.

- Et c'est tout ?

- Ça suffit !

C'est amusant, pensa le petit prince. C'est assez poétique. Mais ce n'est pas très sérieux.

Source de l'article : Daniel de Montplaisir, Le comte de Chambord, dernier roi de France, Paris, Perrin, 2008, 735 p.

Images : Dubois-Drahonet, Alexandre-Jean, Henri, Comte de Chambord, Duc de Bordeaux (Henri V de France), Musée des Beaux-Arts, Bordeaux, France ; Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry ; Le Petit Prince de Joann Sfar