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Château de Saint-Cloud : un projet de reconstruction autofinancé
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- Publié le jeudi 24 septembre 2015 06:14
- Écrit par Admin
Connaissez-vous le château de Saint-Cloud ? Le château de Saint-Cloud était une des résidences royales et princières les prestigieuses de l'Histoire de France. C'était un palais royal situé à Saint-Cloud (92), dans un site surplombant la Seine. Bombardé et incendié pendant la guerre franco-allemande de 1870, il n'en subsiste aujourd'hui qu'un (très joli) parc de 460 hectares : le domaine national de Saint-Cloud. Une association, "Reconstruisons Saint-Cloud !", s'est donnée pour ambition de reconstruire le château. Laurent Bouvet, président de l'association, nous a accordé une interview pour nous donner des nouvelles du projet, qu'il nous avait déjà présenté dans cet article.
1) Pour les lecteurs qui découvrent le projet pour la première fois, pouvez-vous nous le présenter à nouveau, ainsi que votre association ?
L.B. : "Reconstruisons Saint-Cloud !" est une association d'intérêt général qui promeut depuis plusieurs années un projet de reconstruction de ce château, accidentellement disparu dans un incendie lors de la guerre de 1870. Cette reconstruction ne coûterait rien aux finances publiques, puisqu'elle s'effectuerait dans le cadre d'un chantier autofinancé par les entrées payantes des visiteurs. Ce modèle économique s'inspire des succès de trois chantiers autofinancés par les entrées payantes des visiteurs ; en Espagne, celui de la basilique Sagrada Familia de Barcelone et, en France, ceux de la frégate l'Hermione à Rochefort et du château fort de Guédelon dans l'Yonne. Il aurait pour intérêt de permettre, outre une reconstruction "gratuite" du monument, la création d'un musée vivant des métiers d'art, vitrine des savoir-faire français ancestraux dont il convient d'assurer la pérennité.
Photomontage réalisé par M. Daniel EON
2) Certains pensent que reconstruire un monument disparu, c'est réécrire l'Histoire... Qu'avez-vous à leur répondre ?
L.B. : C'est le type même du vrai-faux bon argument car, l'Histoire, encore faut-il la connaître... Or, aujourd'hui, les Français ne connaissent plus leur Histoire, ou si peu ! Sur soixante-cinq millions de Français, il n'y en a probablement pas un sur mille à savoir qu'il y avait un château dans le parc de Saint-Cloud et moins encore à connaître les événements qui s'y sont déroulés. C'est un argument parfaitement élitiste et profondément anti-démocratique, qui consiste à raisonner comme si chaque Français était Agrégé d'Histoire ou Docteur en Histoire de l'Art. Bien sûr que ces derniers savent qu'il y avait un château à Saint-Cloud et ce qui s'y est passé durant trois siècles. Seulement, même si certains d'entre eux sont hostiles à cette reconstruction au motif qu'elle ne leur apprendrait rien, au nom de quels principes devrait-on s'opposer à cette renaissance dès lors qu'elle révélerait l'existence de ce monument aux 99,9 % des Français qui l'ignorent aujourd'hui ? D'ailleurs, suite à son incendie, à partir du moment où 999 Français sur 1.000 ne savent plus qu'il y avait un château à Saint-Cloud et les faits qui s'y sont déroulés, on peut dire que l'Histoire a déjà été réécrite, involontairement, une première fois ; et ce, de façon négative. Aussi, pourquoi ne la réécrirait-on pas une seconde fois, mais volontairement et de façon positive ? Cela n'apprendrait effectivement rien à Alexandre Gady et consorts ; mais, au moins, cela instruirait la quasi totalité de la population française, ce qui me paraît essentiel. Sans parler du retentissement international que ne manquerait pas d'avoir une pareille résurrection. Car, qu'y a-t-il de plus concret, de plus visible, de plus fascinant et, au demeurant, de plus impérissable pour apprendre l'Histoire au grand public, que les monuments dans lesquels elle s'est écrite ? Pour illustrer mon propos, voyez combien une émission comme "Secrets d'Histoire" de Stéphane Bern peut-être instructive. Pour amener les Français à se réintéresser à l'Histoire, il faut leur montrer des choses concrètes et magnifiques. Une Histoire qui serait cantonnée aux seuls manuels, bibliothèques et salles d'archives, serait purement académique, abstraite et, pour tout dire, anti-démocratique et élitiste. C'est pourquoi, je réserve celle-ci aux thésards, aux agrégés et autres professeurs de faculté. Je ne méprise pas ceux-ci, mais ils sont à mille lieues des attentes et, plus encore, des besoins du grand public. Pour nous résumer, si réécrire l'Histoire est la meilleure façon de la populariser et de la faire connaître, alors, oui, sans hésitation, réécrivons la ! Enfin, ajoutons que si, à lui tout seul, cet argument devait justifier qu'on ne reconstruise pas en France quelques monuments disparus, comment expliquer que de grands pays européens comme la Russie, la Pologne ou l'Allemagne aient, eux, reconstruits des villes entières avec les monuments qui s'y trouvaient ? Pourquoi les étrangers auraient-ils le droit de "réécrire" leur Histoire et pas nous, Français ? Et dans un pays qui compte plus de trois millions et demi de chômeurs, dans la mesure où le patrimoine est un vecteur de développement économique national et international, quel intérêt aurions-nous à ne pas le faire ?
3) Quels seraient les autres intérêts à reconstruire le Château de Saint-Cloud ?
L.B. : Parler d'intérêts au pluriel me semble effectivement pertinent, tant il y en a. Par exemple, les opposants à cette reconstruction oublient un peu vite que le château et le parc se complétaient l'un, l'autre, afin de ne former plus qu'un. C'est pourquoi, tel qu'il se présente aujourd'hui, le "Domaine national de Saint-Cloud" se trouve amputé de l'un de ses deux éléments constitutifs et, donc, perd sa raison d'être initiale et son authenticité : Saint-Cloud n'a jamais été dessiné par Le Nôtre pour n'être qu'un simple parc ! Reconstruire le château qui s'y trouvait ne serait pas réécrire l'Histoire, mais rendre à ce Domaine sa dimension historique et architecturale que, tous, s'accordent à reconnaître comme terriblement dommageable qu'il l'ait perdu.
Arrière (à gauche, l'orangerie démolie en 1861)
4) Certains pensent qu'il y a déjà trop de patrimoine en France et que, dès lors, cette reconstruction serait inutile... Qu'en pensez-vous ?
L.B. : Là encore, dire cela, c'est n'avoir rien compris à la problématique du patrimoine. À cela, je répondrai trois choses. Premièrement, ce n'est pas qu'en France on ait trop de patrimoine, c'est que celui-ci étant le produit de l'Histoire de notre pays, il se trouve souvent mal réparti sur son territoire où il n'est pas implanté en fonction de considérations touristiques et, donc, économiques... C'est pourquoi, on peine à le "rentabiliser" et, par la même occasion, à l'entretenir. Par exemple, les châteaux de Vaux-le-Vicomte, Fontainebeau, Chantilly ou Compiègne pâtissent d'un trop grand éloignement de Paris. Quant aux châteaux de la Loire, il vaudrait mieux que ce soit les châteaux de la Seine... Concernant le château de Saint-Cloud, ce problème ne se poserait évidemment pas, puisqu'il serait situé à seulement cinq kilomètres de Paris et serait desservi par le train, le tramway, le bus et le métro.
Deuxièmement, il convient de rappeler que, si la France ne disposait pas de tout ce patrimoine, elle ne serait pas la première destination touristique mondiale, avec toutes les conséquences positives que cela peut engendrer pour l'économie française. Promouvoir le tourisme en créant de nouveaux sites, c'est créer des emplois directs, indirects, pérennes et non délocalisables.
Troisièmement, il faut savoir qu'en terme d'image de la France dans le monde, le patrimoine joue un rôle considérable qui dépasse largement sa simple sphère. Ainsi, par exemple, en va-t-il de l'industrie du luxe qui inonde la planète de nos produits "made in France" et est pour notre pays une véritable "poule aux œufs d'or". Pour preuve, le rapport remis le 28 juin 2012 sur la "Marque France" à Arnaud Montebourg, Ministre du Redressement productif, et à Nicole Bricq, Ministre du Commerce extérieur, que le quotidien "Le Monde" a résumé en titrant : "Sans le château de Versailles, LVMH n'existerait pas". C'est pourquoi ce n'est pas un hasard si les deux seuls pays européens à disposer d'une industrie du luxe de dimension internationale, à savoir la France et l'Italie, sont également ceux qui disposent du plus gros patrimoine. Pour vendre un rouge à lèvres, un parfum, quoi de mieux que de pouvoir les rattacher inconsciemment à un château... C'est tout de même plus "glamour" que de les rattacher à une cheminée qui crache de la fumée noire ! Quant au luxe, il n'est pas forcément élitiste et peut être rendu plus abordable par d'autres multinationales françaises, telle "L'Oréal". Ce qui est valable pour l'industrie du luxe, l'est également pour les vins que l'on exporte et la gastronomie au sens large. Aussi pourrait-on ajouter, "Sans le château de Versailles, Danone n'existerait pas", et on pourrait multiplier les exemples dans bien d'autres secteurs de l'économique. Pour nous résumer, si je voulais être caricatural, je dirai que le patrimoine est à un pays, ce qu'une vitrine est à un magasin. Une vitrine ne sert à rien, car on y achète rien; sauf que si la vitrine est belle, elle fait entrer les clients dans le magasin où, là, ils achètent !
Galerie d''Apollon (colorisée par M. Daniel Éon)
5) Que répondez-vous à ceux qui déclarent qu'il vaut mieux entretenir ce qui existe déjà, plutôt que de reconstruire ce qui a disparu ?
L.B. : Là encore, c'est le type même d'arguments qui semble frappé au coin du bon sens mais ne résiste pas à un examen sérieux. D'ailleurs, c'est curieux, cet argument étant employé par des gens se présentant comme soucieux des deniers publics, comment se fait-il qu'on ne les entende jamais lorsque les pouvoirs publics construisent de nouveaux monuments extrêmement coûteux comme la Philharmonie de Paris à 385 millions d'euros (soit l'équivalent de deux châteaux de Saint-Cloud) ? Jean Nouvel étant un architecte de renommée internationale, sa philharmonie ne va-t-elle pas constituer un nouvel élément - en l'occurrence déjà structurellement déficitaire - du patrimoine français pour lequel il va falloir prévoir un important budget de fonctionnement, payer un personnel pléthorique, sans compter les innombrables travaux d'entretien qu'il conviendra d'effectuer tout au long de la vie du bâtiment, le tout évidemment financé par des fonds publics ? Et, pour ne circonscrire ce problème qu'à la capitale, on peut en dire autant de tous les bâtiments parisiens de prestige construits depuis le "Centre Georges Pompidou" inauguré en 1977. Aussi, au lieu de dire qu'il vaut mieux entretenir ce qui existe déjà, plutôt que de reconstruire ce qui a disparu, il serait plus pertinent de dire, qu'avant de construire de nouveaux bâtiments coûteux, il vaudrait mieux reconstruire les quelques uns ayant disparu et pouvant encore être reconstruits. Ce qui n'empêcherait pas d'entretenir ceux existant et, une fois qu'on aurait reconstruit les quelques uns pouvant encore être reconstruits, d'en reconstruire de nouveaux si on estime en avoir les moyens, ce qui est douteux.
6) Comment le projet a-t-il avancé depuis ces 5 dernières années ? Qu'y a-t-il de nouveau ?
L.B. : Dans la mesure où il s'agit d'un projet de moyen terme, il avance modérément mais, en l'occurrence, sûrement. Depuis cinq ans, outre les nombreux soutiens supplémentaires que nous avons recueillis, une étape importante a été franchie en 2014 dans la mesure où une grande étude architecturale a été réalisée par l'"Atelier Cos" (architecte du "Ritz" à Paris et du "Cheval Blanc" de L.V.M.H. à Courchevel). Dans ce monument reconstruit, au dessus des pièces de réception recréées à l'identique, les étages supérieurs qui, dès l'origine, ne comportaient que des chambres, pourraient accueillir un hôtel avec des boutiques de luxe, un restaurant gastronomique, des salles de séminaires, une école professionnelle, un parking en sous-sol, etc... Ainsi, une activité économique au sein de cet édifice lui permettrait-elle d'être rentable comme peut l'être, par exemple, un "Relais & Châteaux". Grâce à cette étude architecturale, la société d'économie de la construction "Gleeds" a ensuite pu chiffrer cette reconstruction de 14.000 m2 (incluant le château, les sous-sols avec des parkings, l'orangerie, et la restauration du pavillon des Offices demeurant encore) en moyenne à 185 millions d'euros. Si ce chiffre peut paraître élevé à des néophytes, il faut savoir que les seuls travaux de rénovation de l'hôtel "Péninsula" qui a ouvert l'année dernière ses portes à Paris avenue Kléber se sont élevés à 430 millions d'euros.
Aquarelle du château peinte par M. Valentin Fiumefreddo en 2011
7) Avez-vous le soutien des pouvoirs publics ?
L.B. : Tout dépend ce que l'on appelle par pouvoirs publics... Nous avons d'importants soutiens politiques au sein du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine et du Conseil Régional d'Ile-de-France, mais ces collectivités territoriales ne sont pas les propriétaires du "Domaine national de Saint-Cloud" qui appartient à l'État. Aussi, ai-je été reçu deux fois au Palais de l'Élysée - une fois sous Nicolas Sarkozy et une fois sous François Hollande - afin de plaider notre dossier. Chaque fois, j'y ai reçu un bon accueil mais il est difficile de faire bouger l'Administration d'un pays où la tradition est la non-reconstruction des monuments historiques disparus. Il faut que les mentalités évoluent et c'est ce à quoi nous nous employons. Le récent début de la reconstruction du château de Berlin intervenue depuis deux ans devrait beaucoup nous y aider.
8) Le modèle économique d'autofinancement est-il toujours le même et pouvez-vous nous le repréciser ?
L.B. : Le modèle économique d'autofinancement que nous préconisons demeure inchangé. Cela dit, on pourrait aussi imaginer un système mixte, à savoir un investisseur qui reconstruirait le gros œuvre et s'approprierait le bâtiment ; excepté les pièces de réception qui, elles, seraient recrées dans le cadre d'un chantier autofinancé par les entrées des visiteurs.
9) Le projet commence-t-il à se faire connaître un peu plus du grand public ?
L.B. : Oui, évidemment, surtout que notre initiative a déjà donné lieu à plus de cent-vingt articles de presse. Cela dit, trop de gens ignorent encore notre projet, ce qui constitue pour lui un handicap dans la mesure où, si l'on veut qu'il aboutisse, il nous faut créer autour de lui une dynamique.
10) J'ai vu lors de l'exposition "Histoires en briques Lego", une maquette en lego du Château de Saint-Cloud. Votre association est-elle partenaire de cette (très belle) exposition ?
L.B. : Effectivement, "Reconstruisons Saint-Cloud !" est partenaire de cette exposition qui, pendant cinq ans, ira dans différentes villes de France et même d'Europe ; car l'intérêt suscité par les deux empires est international... raison supplémentaire pour reconstruire le Château de Saint-Cloud !
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Un grand merci à Laurent Bouvet pour ses réponses intéressantes, instructives et documentées. Il s'agit d'un beau projet auquel, amateurs d'Histoire que nous sommes, nous souscrivons sans réserve. Le parc de Saint-Cloud est l'un des plus beaux sites d'Ile-de-France, et effectivement, il lui manque son château... Nous ne pouvons que souhaiter réussite et succès à cette association. :-)