Livres, films, etc.
Henri IV, l'énigme du roi sans tête de Stéphane Gabet et Philippe Charlier
- Détails
- Publié le mardi 23 avril 2013 12:30
Le destin de la tête d'Henri IV est un véritable feuilleton, qui a fait l'objet d'une enquête de Philippe Charlier, médecin légiste, et de Stéphane Gabet, journaliste. Ils nous racontent leur aventure dans un livre paru à La Librairie Vuibert le 15 février.
31 octobre 1919. Les biens d'une certaine Emma Camille Nallet Poussin, peintre à Montmartre, sont vendus aux enchères. L'artiste est décédée, ses affaires occupent un garde-meubles depuis dix ans. Pour 3 francs, Joseph-Émile Bourdais, photographe, emporte le lot, parmi lequel se trouve une mystérieuse tête momifiée. L'homme, passionné par Henri IV, croit reconnaître la relique : pour lui, ce n'est autre que la tête du Bon Roy Henri ! Dès lors, il va consacrer sa vie à prouver son authenticité. Malheureusement pour lui, il ne convainc personne. Son histoire fait sourire, quand elle n'inspire pas du dégoût. Peu avant sa mort, en 1946, il tente même de donner la relique au Musée du Louvre, mais celui-ci la refuse. Mme Gaillard, sa sœur, en hérite, et décède.
En 1953, un couple de passionnés, les époux Bellanger, achètent la relique à Mme Gaillard et reprennent le flambeau. Mais, sans résultats malgré des années de recherches, ils remisent la tête dans un grenier.
Ce n'est qu'en 2008 que l'affaire rebondit. Stéphane Gabet prépare une émission sur Henri IV et prend rendez-vous avec Jean-Pierre Babelon, un académicien spécialiste du roi. Ce dernier lui parle d'une lettre datée de 2006, d'un certain Jacques Bellanger qui disait s'intéresser à la tête perdue d'Henri IV. Stéphane Gabet contacte alors Bellanger, mais celui-ci est réticent à parler. Finalement, des mois plus tard, il rappelle le journaliste et avoue être en possession d'une tête momifiée, rachetée à Mme Gaillard.
Comment la relique a-t-elle pu se perdre et faire un parcours aussi étonnant ? Pour le comprendre, il faut remonter dans l'Histoire. Après son assassinat par Ravaillac, le 14 mai 1610, Henri IV fut, comme la plupart des rois, enterré à la basilique Saint-Denis. Hélas, 183 ans plus tard, en octobre 1793, en pleine Terreur, sa tombe fut profanée par les révolutionnaires... Est-ce à ce moment que la tête d'Henri IV fut détachée de son corps ? Aucun témoignage ne l'affirme. Le corps du roi est rejeté dans les fosses communes, et le 18 janvier 1817, quand le roi Louis XVIII fait ouvrir les fosses communes de Saint-Denis, surprise : la dépouille d'Henri IV est découverte décapitée.
Un an après le premier entretien téléphonique, Stéphane Gabet et Philippe Charlier se rendent donc chez les époux Bellanger. La caisse se trouve au grenier, dans une vieille armoire : « On voit une vieille serviette qui enveloppe quelque chose, racontent-ils. Jacques Bellanger rabat la serviette d'un côté, puis de l'autre. La tête apparaît alors momifiée, bien conservée. Impressionnante. L'instant est magique. »
Les époux remettent la caisse aux enquêteurs, qui se dirigent vers un laboratoire de l'AP-HP pour la faire examiner. On constate notamment que le crâne n'est pas scié : il n'y a donc pas eu de trépanation, comme c'est la coutume pour l'embaumement des rois. A ce stade, rien n'indique qu'il s'agit bien de la tête d'Henri IV.
Commencent alors d'incroyables recherches, dignes des plus grandes enquêtes policières, afin de déterminer s'il s'agit bien du chef du Vert-Galant. Analyses ADN, datation au carbone 14, course aux archives, étude des autopsies d’époque, recherches sur les procédés d’embaumement de la fin de la Renaissance, voyages dans les collections de vraies-fausses reliques des rois de France disséminées dans les musées publics et collections privées d’Europe, reconstitution du parcours de la tête et de ses pérégrinations, études toxicologiques, reconstitution faciale... : l’enquête, menée tambour battant par une vingtaine de spécialistes, est jalonnée de rebondissements, de découvertes et de déceptions. L'ouvrage de Stéphane Gabet et de Philippe Charlier est le récit de cette enquête, contée de manière captivante : je l'ai lu d'une traite, en deux heures à peine, alors même que le sujet du roi Henri IV ne me passionne (a priori) pas plus que ça. J'aurais même plutôt tendance à me méfier de la légende trop idéale attachée à ce souverain...
Mais, au fil des pages, on se prend au jeu des enquêteurs, on est impatient de connaître le dénouement de l'histoire, comme dans un roman policier. Sauf qu'ici rien n'est inventé. Je ne vais pas livrer ici le détail des étapes de l'enquête puisque c'est là que réside l'intérêt de l'ouvrage.
Ces recherches ont permis de produire une reconstitution faciale du roi de Navarre par ordinateur. Grâce à des images scanner confiée par l'équipe de recherche, Philippe Froesch, infographiste et directeur du studio Visualforensic, spécialisé dans la reconstitution faciale en 3D, a pu établir un portrait du roi à partir de sa tête momifiée. Le résultat est troublant tant il est proche de l'iconographie que l'on connaît du roi. Henri IV est ainsi le premier monarque à avoir sa "photo".
Pour finir, mon article ne serait pas complet si j'omettais de mentionner le fait que le résultat de cette enquête est contesté par certains historiens, dont le plus connu est Philippe Delorme, auteur d'un ouvrage sur le Vert-Galant (Henri IV - Les réalités d'un mythe). Ce dernier estime que les preuves avancées par l'équipe ayant conduit les recherches sont insuffisantes. Il critique la méthodologie, pointant du doigt des "lacunes de l'enquête historique". Il s'étonne notamment que la tête n'ait pas été sciée, "comme c'était le cas pour les embaumements royaux sous l'Ancien Régime, et comme l'atteste l'un des témoins oculaires officiels des profanations de 1793". Une critique à laquelle l'ouvrage de Stéphane Gabet et de Philippe Charlier répond, toutefois l'objet de mon article n'est pas de trancher sur ce débat mais de donner mon humble avis sur un livre. Et à ce titre, je ne peux que le recommander, parce qu'il est passionnant, même pour les non-fans de Henri IV. Enfin, si tant est qu'on s'intéresse à ce genre d'enquêtes...
Henri IV. L'énigme du roi sans tête, de Stéphane Gabet et Philippe Charlier, éditions La Librairie Vuibert, 160 pages, 16,90 €.
Paru le 15 février 2013.
Crédits photos : Philippe Froesch/Visualforensic/La Librairie Vuibert