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Les toilettes de Marie-Antoinette : quand la mode devient instrument politique

Marie Antoinette (peinture)
On connaît le goût de Marie-Antoinette pour la mode. Elle avait sa modiste attitrée, la célèbre Rose Bertin. La reine faisait et défaisait les modes, comme le lui recommandait d'ailleurs sa mère, l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, qui considérait qu'elle devait donner le ton.

Marie-Antoinette se faisait faire environ 170 robes à l'année, les tenues “réformées” étant régulièrement vendues ou données. Trois fois par an, la souveraine commandait à son "ministre de la mode" : douze grands habits de cour, douze petites robes dites de fantaisie, douze robes riches sur panier pour le jeu ou le souper des petits appartements.

Ces tenues occupaient la place centrale des dépenses de la reine, aux côtés de six autres postes budgétaires :

- dentelles, mousselines et toiles

- fourrures,

- parfumerie et mercerie

- bas, souliers et chapeaux

- étoffes de soie et autres

- modes et parures

Mais ce goût pour la mode n'était-il que le signe d'une coquetterie et d'une frivolité que l'on associe si souvent à la reine et qui lui valurent maintes critiques ? Comme vous vous en doutez - la réalité étant toujours plus complexe que ce que les idées reçues veulent nous faire croire -, la réponse est non.

Si l'épouse de Louis XVI se préoccupait autant de ses toilettes, c'est aussi et surtout parce que cela lui permettait d'échapper aux pesanteurs de l'étiquette, cette étiquette qu'elle ne supportait plus.  Rappelons que l'univers de la Cour de Versailles était superficiel, impitoyable, cruel, basé entièrement sur le paraître. Dans un tel contexte, la question des toilettes de la reine et des grands de ce monde était capitale, d'où, entre autres, les nombreuses dépenses de la souveraine pour ses parures et ses bijoux (devoir de représentation de la première dame du royaume).

A travers ses tenues masculines de cavalière, ses monumentaux poufs capillaires, ses déguisements de bal et ses habits champêtres à la gaulle, Marie-Antoinette pouvait ainsi se soustraire à l'épreuve que constituait le port de la robe à panier et du corset à armature de fer. Caroline Weber, dans son ouvrage The Queen of Fashion (Henry Holt, NY, 2006), montre même qu'elle fit de ses habits un véritable mode d'expression politique. Hélas, cela eut autant pour effet de lui assurer des triomphes que de la conduire à sa perte...

Auprès du peuple, d'abord. On la critiqua vivement quand elle s'habilla en "gaulles", ces robes de mousseline ou de linon blanc, à la mode des créoles, toute simples et ceinturées de bleu. Son portrait réalisé par Elisabeth Vigée-Lebrun la représentant en tenue de gaulle (voir illustration ci-dessus) fit scandale : on lui reprocha de se vêtir comme une femme de chambre et de ruiner le commerce de la soie en France (soie de Lyon). On jugeait ce vêtement réservé pour l'intérieur. Les critiques s'empressèrent de nommer la tenue "chemise". La portraitiste se dépêcha alors d'habiller la reine, ce qui donna le fameux “Marie-Antoinette à la rose” ci-dessous , peut-être le plus célèbre tableau de la reine.

Marie-Antoinette à la rose

Quand la reine fit construire son Hameau (imitation d'une véritable ferme avec de vrais animaux dedans) et s'habilla en bergère, les paysans de la France profonde s'en offusquèrent car eux ne portaient pas de la mousseline comme ceux du Hameau et étaient écrasés par les impôts.

Sa mère, en découvrant l'un de ses portraits, considéra qu'elle ne voyait pas une reine de France mais une "actrice"...

Enfin, elle se mit à dos une partie de la Cour. En effet, Marie-Antoinette entendait utiliser la mode comme moyen de distinction opérant une hiérarchie entre les familles, un mode de classement qui concurrençait les anciennes valeurs traditionnelles de naissance ou de richesse. Cette thèse est développée par Michelle Sapori, dans son ouvrage Rose Bertin : Couturière  de Marie-Antoinette (Perrin, 2010).

 

 
Certaines grandes familles (qui tenaient à leur rang) refusèrent de rentrer dans le jeu et boudèrent la Cour. Quant aux autres, qui aspiraient à faire partie de la coterie de la reine et à lui complaire, ils étaient perpétuellement sur le qui-vive, à l'affut des moindres tendances et changements de mode. La courtisane vivait ainsi dans l'angoisse d'être vêtue comme il fallait, au moment où il fallait, car il y avait des tenues pour chaque moment de la journée et en fonction de chaque circonstance : toilette pour le lever et toilette pour le dîner, toilette pour recevoir l'ami et pour recevoir le prêtre, toilette pour la promenade en ville et toilette pour la campagne, toilette pour déjeuner chez soi et toilette pour déjeuner chez les autres, etc. Il y avait celles qui avaient l'honneur d'être informées des modes du lendemain et celles qu'on maintenait dans l'ignorance des nouvelles tendances qui leur auraient permis de se positionner sur l'échelle sociale. En plus d'être un moyen d'émancipation, la mode était donc pour Marie-Antoinette un moyen de domination et de contrôle. Une stratégie, qui, quand on sait ce qui s'ensuivit, ne fut peut-être pas la bonne...