Un peu d'Histoire
Les cartes à jouer et la Révolution : le roi, la dame et le valet
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- Publié le mardi 15 mars 2011 17:03
- Écrit par Admin
D’origine chinoise ou moyen-orientale, les cartes à jouer sont apparues en Europe à la fin du XIVe siècle. Les premières cartes à jouer, illustrées artisanalement par des peintres miniaturistes et parfois rehaussées d'or fin, étaient réservées à l’aristocratie. Grâce aux progrès de l'imprimerie, les jeux de cartes se démocratisèrent rapidement. Dès le XVe siècle, des imprimeurs suisses et allemands produisaient des jeux en grande quantité. Leur succès fut tel que l'Eglise s'en inquiéta.
A l’origine, les cartes à jouer présentaient quatre couleurs héritées des arabes et appelées Bâtons, Epées, Coupes et Deniers. Ces enseignes devinrent les Coeurs, les Carreaux, les Piques, et les Trèfles, désignant les quatre couches de la société (clergé, bourgeoisie, armée, paysans).
Au XVIe siècle, les cartes représentent des Rois, des Dames et des Valets, mais leurs figures diffèrent selon les régions. Pour lutter contre la diversité des dessins de cartes, une nouvelle réglementation fiscale impose en 1701 l'usage de neuf modèles régionaux, pour chacune des régions de France. Le modèle de "Paris" sera le plus produit et diffusé. Ces contraintes perdureront jusqu'à la Révolution.
A cette époque, on jouait beaucoup, à la ville comme à la campagne, dans les salons comme dans les tripots, que l'on soit aristocrate ou du peuple...
A cette époque, on jouait beaucoup, à la ville comme à la campagne, dans les salons comme dans les tripots, que l'on soit aristocrate ou du peuple...
Vosgiens sous la Révolution (jeu de 54 cartes)
Mais la haine de la noblesse eut tôt fait de sceller le sort du Roi, de la Dame et du Valet. Un décret de la Convention du 1er brumaire an II (22 octobre 1793) interdit les « signes de royauté et de féodalité » : les maîtres cartiers doivent donc effacer sur leurs matrices tous les symboles de l’Ancien Régime (sceptres, globes crucifères, couronnes, fleurs de lys) et les remplacer par d’autres plus conformes aux idéaux révolutionnaires (bonnets phrygiens, chapeaux à plumes, et symboles agricoles : pommes, glands ou lauriers).
Bien entendu, il n'est plus question de parler de Roi, de Dame et de Valet ! Le Roi devient donc un "génie" (idéal de la connaissance et de l'intelligence), la Dame la "liberté", et le Valet "l'égalité". C'est la naissance des cartes à jouer politiquement correctes !
Une dame de cœur révolutionnaire (anonyme)
Du fait de la forte popularité des jeux de cartes, les Jacobins comprennent le parti qu'ils peuvent en tirer. Ils en font alors un instrument de propagande ou d'éducation républicaine. Les jeux de cartes révolutionnaires promeuvent les héros et les vertus républicains.
Sur certains de ces nouveaux jeux, on trouve ainsi des nouvelles figures. Les ci-devant Rois sont des génies de la paix, du commerce, des arts ou deviennent des philosophes comme Rousseau. Les Dames personnifient les vertus (Tempérance, Prudence, Justice et Force) ou les libertés nouvelles (culte, presse et arts). Les Valets montent en grade et deviennent de vrais républicains représentés en soldats-égalité : fantassins, artilleurs, matelots ou même palefreniers, le service des chevaux étant honoré. Quant aux As, ils représentent désormais les lois.
Jeu de cartes dessiné par Jacques-Louis David sous la Terreur
D’autres cartes sont aussi créées pour instruire le peuple. Elles présentent, par exemple, le calendrier révolutionnaire, la Déclaration des Droits de l’Homme ou le nouveau système métrique. On vit même Danton apparaître un jour, provisoirement, sur des cartes, mais les cartiers n’eurent pas toujours le temps d’adapter leurs matrices au rythme de la guillotine.
Malgré tous ces efforts, ces créations nouvelles n’eurent pas le succès escompté. Les joueurs restaient fidèles à leurs propres jeux et continuaient à les utiliser. Une grande partie de la population ne sachant pas lire, troublée par la nouveauté et la variété des cartes révolutionnaires, ne s'habituait pas à ces images. Aussi, dès la chute de Robespierre le 9 thermidor, tout fut oublié et on revint spontanément aux cartes de l’Ancien Régime qui refleurirent à peine modifiées sous le Directoire.
Plus tard, Napoléon s'essaiera aussi à la propagande politique, avec le peintre David qui illustrera sa grandeur sur les cartes. Mais elles furent très peu utilisées en dehors des Tuileries.
La Restauration, les Révolutions de 1830 et de 1848 génèreront le même genre de tentatives, sans plus de succès.
Si vous vous intéressez aux cartes, je vous recommande vivement le Musée Français de la Carte à jouer, à Issy-les-Moulineaux. C'est un très beau musée (Prix Européen du Musée de l'Année en 1999), à la fois ludique et instructif. Certaines pièces sont magnifiques, comme une carte à jouer peinte à la main et enluminée datant du XVe siècle, ou les jeux réalisés par des artistes comme Jean Dubuffet, Sonia Delaunay, les surréalistes...
On y apprend des choses passionnantes. Ainsi, les premiers jeux de cartes éducatifs furent créés pour l'instruction de Louis XIV, et dans les premiers jeux des sept familles, on ne trouvait pas de grand-père et de grand-mère, mais le valet et la cuisinière, modèle bourgeois du foyer au XIXe siècle !
Dernier avatar de ce type de jeux : le Pentagone a élaboré un jeu de cartes sur lequel figurent les portraits de 52 responsables irakiens les plus recherchés, la valeur de la carte (roi en premier) reflétant la place dans le régime... Chaque soldat américain ou anglais reçut un jeu pour l’aider à les identifier. L’As de pique est Saddam Hussein... Le musée abrite également la Galerie d'Histoire de la Ville dans le pavillon d'entrée de l'ancien château des Princes de Conti.
Sources : Musée français de la carte à jouer, centre de documentation (16, rue Auguste Gervais, 92130 Issy-Les-Moulineaux)